Nazim Mustafa, docteur en Histoire, est chef de département à la bibliothèque présidentielle et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Histoire de l’Académie Nationale des Sciences. En tant qu’auteur de travaux sur l’histoire des khanats du Karabagh, du Nakhitchevan et d’Irevan, il a reçu le prix d’Etat. Il est l’un des principaux historiens – chercheur sur le génocide de 1905-1906.
– Monsieur Mustafa, le génocide des années 1905- 1906, perpétré par les dirigeants arméniens contre la population azerbaïdjanaise, est un des sujets les moins explorés. Vous faites des recherches sur les événements de cette époque. Qu’est ce qui est à la source de ces tragédies?
- Les partis politiques arméniens “Dachnaksutyun” et “Hnçak” ont été le centre de planification du génocide des années 1905-1906 dans le Caucase du Sud, mis en oeuvre en vue de s’approprier des terres azerbaïdjanaises au moyen d’une épuration ethnique qui serait le préalable à une colonisation de peuplement par leurs compatriotes.
Une fois la tourmente des années 1894-1896 en Turquie apaisée, quelque 400.000 Arméniens, parmi lesquels les principaux activistes à l’origine de ces troubles, se sont déplacés dans différentes régions du Caucase du Sud. Beaucoup sont venus avec leurs armes. Comme ils venaient de la Turquie, la porte d’entrée du Caucase était les territoires de l’Arménie actuelle, mais peuplée alors par des Azerbaïdjanais. Il est évident que c’étaient des Azerbaïdjanais qui vivaient sur ces territoires et que ces terres leur appartenaient, il n’y avait donc pas de place pour les migrants arméniens. Ils ont résolu de s’établir en priorité à Irevan car il était relativement facile de s’installer dans une ville.
Depuis 1903, les Arméniens venus plus tôt de l’Iran et de la Turquie, et puis les 400.000 autres Arméniens installés plus tard, se sont lancés ouvertement sur la voie séparatiste. Le gouvernement tsariste était préoccupé par ce séparatisme car les Arméniens cherchaient simultanément à gagner leur autonomie en Turquie et au Caucase avant, à un stade ultérieur, d’unifier ces autonomies et de créer un Etat arménien unique. Les églises arméniennes jouaient habilement le rôle de source de financement et de dépôt d’armes pour les activistes, les partis arméniens nationalistes et leurs groupes armés. L’église arménienne et les séparatistes arméniens avaient aussi des revendications territoriales contre la Russie, surtout après la formulation d’un Etat de la “Grande Arménie” devant être créé sur des territoires allant de l’Anatolie orientale à Voronej. La Russie tsariste est sérieusement inquiète. En 1903, St-Peterbourg prend la décision de fermer les écoles arméniennes dans lesquelles étaient enseignées le fait que le Caucase serait une partie considérable de la Grande Arménie, et de transférer des propriétés de l’église arménienne au ministère des Terres et des Biens de la Russie. Cette décision portera un coup sérieux à la situation financière des organisations politiques financées par l’église.
Cette politique ouvrira la voie au terrorisme arménien. Les dirigeants arméniens ont adressé un ultimatum à tous les dirigeants de la Russie tsariste, leur disant que si ces décisions étaient mises en oeuvre, des actes terroristes seront ciblés contre les responsables. Ces menaces ont été mises à exécution. Les actes terroristes annoncés seront commis contre les fonctionnaires du Tsar à Irévan et à Kars. A ce stade, le but était également de prévenir les tentatives de réaction des autorités lors d’actions armées contre les Azerbaïdjanais. Dans la période suivante, le gouverneur de Bakou, Nakachidzé, et le vice- gouverneur de Gandja, Andreyev, seront abattus par les groupes para-militaires arméniens. Ces hauts fonctionnaires s’opposaient à la politique de nettoyage ethnique engagée par la direction politique arménienne. Ainsi ont-ils pu intimider les représentants locaux du Tsar.
Les heurts sanglants arméno–musulmans éclatent dans la foulée de l’assassinat d’un Azerbaïdjanais par des Arméniens à Bakou le 6 février 1905. Bien que les groupements armés arméniens soient déjà prêts, les Azerbaïdjanais, selon les mots de l’historien contemporain M. S. Ordoubadi, « étaient dans un profond sommeil ». Ces massacres n’étaient pas le résultat d’une coïncidence, mais ils avaient été programmés dans une ville où les Arméniens riches du Caucase du Sud s’étaient concentrés progressivement. L’objectif essentiel des Arméniens à Bakou était de s’emparer des champs de pétrole. Car ces champs de pétrole étaient la source de financement des partis politiques arméniens et de leurs groupes armés. De grands magnats du pétrole, les Mantachev, les Mirzoyan et d’autres, versaient de larges sommes sous forme de cotisation mensuelle aux partis comme le « Dachnaksutyun » et le « Hntchak ». Grâce à ces fonds, les activistes arméniens étaient lourdement armés. Les massacres ont commencé le 6 février à Bakou et le 20 février à Irévan. A cette époque-là, 30.000 habitants vivaient à Irévan dont une moitié d‘Arméniens, l’autre moitié étant constituée d’Azerbaïdjanais. La ville et les villages environnants ont été encerclés par les milices arméniennes et la population azerbaïdjanaise fut mise sous pression. Après Irévan, ils sont entrés au Nakhitchevan, mais l’unité des Azerbaïdjanais n’a pas permis à l’offensive arménienne d’atteindre son objectif. Leur objectif, comme l’écrivait M.S. Ordoubadi, « était d’occuper les territoires allant d’Irévan au Nakhitchevan, du Nakhitchevan au Zenguezour, et du Zenguezour au Karabagh afin de créer une forte enclave arménienne ». Essuyant un échec au Nakhitchevan, les Arméniens ont engagé les violences inter-ethniques en mai. Leurs groupes paramilitaires s’attaquent aux populations civiles villageoises azerbaïdjanaises dans le « mahalle » (secteur) de Girkhboulag et dans le « gaza » (canton) d’Etchmiadzine (appelé aussi Uçkilse, les « Trois églises »). Dans les années 1905-1906, les Arméniens auront commis des massacres par trois fois à Bakou et quatre fois à Irévan.
Très nombreuses seront les victimes azerbaïdjanaises dans les sept « gazas » (canton) de la province d’Irévan. Cent cinquante villages azerbaïdjanais ont été dépeuplés de leurs habitants qui jamais ne pourront retourner dans leur pays. Dans l’étape suivante, les Azerbaïdjanais ont été cruellement agressés dans le gaza du Zenguezour. Les massacres les plus terribles ont eu lieu dans le Zenguezour. Le Zanguezour était à cette époque-là une région reculée difficile d’accès. Il fallait deux jours pour aller de Gandja au Zanguezour. Dans une situation où personne n’était au courant de ce qui se passait, les Arméniens faisaient ce qu’ils voulaient. Seul dans le gaza du Zenguezour, les groupes arméniens ont détruit 45 villages azerbaïdjanais. Ces massacres se poursuivaient aussi à Gazakh et à Gandja. Les Arméniens avaient l’intention d’occuper la rive gauche du fleuve Koura en attaquant Gandja à partir de Gazakh – Guedebeï et d’attaquer le Karabagh et Gandja à partir du Zenguezour. Mais les offensives des groupes armés arméniens ont été tenues en échec dans les directions de Gazakh et Guedebeï.
Il est intéressant de noter que pendant le génocide de 1918 et la première guerre du Karabagh les Arméniens ont attaqué sur les mêmes axes.
La stratégie générale dans laquelle se placent les massacres commis dans les années 1905-1906 était de créer des enclaves arméniennes par la voie du nettoyage ethnique, puis d’unifier ces enclaves et déclarer un Etat arménien.
M.S. Ordoubadi écrivait à propos des événements de 1905- 1906 que l’objectif des dirigeants arméniens était « qu’un Arménien avec une arme sur l’épaule puisse aller, sans rencontrer de musulmans, de Khankendi jusqu’à Irévan ». Malheureusement, les Arméniens qui n’avaient pas pu réaliser leur rêve en 1905- 1906 pourront y parvenir en 1988- 1993.
– Monsieur Mustafa, il existe cette idée que le gouvernement tsariste aurait soi-disant provoqué le conflit arméno–azerbaïdjanais pour désamorcer une possible émeute ouvrière à Bakou en 1905, cependant, il ressort de l’ampleur des massacres que ce mouvement a très largement dépassé les limites de Bakou. Alors, à quel point cette version est-elle recevable?
– Comme je l’ai mentionné plus tôt, la direction activiste arménienne avait menacé les hauts- fonctionnaires russes d’attaques terroristes. Par conséquent, la majorité des Russes ont pris une position loyale envers ces massacres. Je voudrais souligner également le fait que l’épouse du vice-roi du Caucase Vorontsov-Dachkov, Elizaveta Grigoryevna, était d’origine arménienne. Elle avait de relations personnelles avec Mesrop, un des dirigeants du parti “Dachnaksoutioun”. Elle a même eu recours à la maison du vice-roi. Selon l’écrivain arménienne Anaïd Lalayan, les questions relatives aux massacres arméno–azerbaïdjanais de 1905-1906 étaient décidées dans la chambre de Vorontsov-Dachkov. Un colonel, un chef de la sécurité du vice- roi, écrira plus tard que Peterson, le chef de la chancellerie de Vorontsov-Dachkov, distribuait des armes aux Arméniens en sous-mains. Ainsi, la position du vice-roi du Caucase engageait la Russie tsariste. A cette époque-là, il était âgé- 84 ans et sa jeune femme avait une grande influence sur lui. Elle ne permettait pas de prendre des mesures contre les Arméniens. Egalement, après la défaite dans la guerre russo–japonaise, le gouvernement tsariste tentait de prévenir les menées révolutionnaires dans les grandes villes et ne pouvait pas exercer une surveillance convenable dans les régions éloignées. Ainsi, profitant de cette impunité, les Arméniens avaient-ils toute latitude pour faire avancer leur cause, fût-ce par des massacres.
–Mais comment ces massacres à grande échelle ont-ils pris fin?
– Les Azerbaïdjanais qui avaient été négligents sur la question arménienne et n’avaient pas pris la mesure de cette force hostile, ont senti la possibilité de la réalité de pouvoir perdre toutes leurs terres. Ainsi le processus d’organisation des Azerbaïdjanais a-t-il commencé. En 1906, le parti “Difai” (“Volonté”) à Gandja, et celui de “Müdafia” (“Défense”) à Gazakh, sous la direction d’Ibrahim bey Vekilov, ont vu le jour. Le parti, à Gazakh, avait pour objectif de protéger les gazas de Gazakh et de Bortchaly contre les attaques des Arméniens. Le parti “Difai”, établi sous la direction d’Ahmed bey Aghayev, devait protéger les provinces de Gandja et d’Elizavetpol. Ce parti a pris naissance dans de telles circonstances que le gouvernement tsariste n’a eu connaissance de sa formation que 1 ou 2 ans plus tard. “Difaï” avait des branches à Bakou, Gandja, Irévan, Nakhitchevan, Kars et Ighdir. C’est grâce aux actions de ce parti que les massacres ont cessé. Le parti “Difaï” a fait diffuser des déclarations annonçant à leur tour qu’ils allaient punir les fonctionnaires tsaristes qui avaient fermé les yeux sur les atrocités commises par les Arméniens et qui avaient adopté une approche conciliante face à ces massacres. Après la punition infligée à Galochapov, le gouverneur général de Choucha, par les membres du parti, et à Axel Yenkel, le gouverneur du Nakhitchevan, pour n’avoir pas réagi aux massacres commis par les Arméniens, les fonctionnaires tsaristes ont commencé à prendre des mesures drastiques. Les groupes armés arméniens seront désarmés. Après les actions radicales du parti “Difaï”, les Arméniens ont établi des Comités de réconciliation, avançant le fait que certains d’entre eux avaient succombé aux intrigues du gouvernement tsariste.
Dans les années 1905- 1906, les Azerbaïdjanais ont subi les attaques des bandes arméniennes dans sept grandes villes et dans douze gazas. Plus de 200 villages azerbaïdjanais ont été dévastés.
Après ce réveil pénible, comment se fait-il que les Azerbaïdjanais aient à nouveau commis de telles négligences qu’ils se sont trouvés 12-13 ans plus tard aux prises avec des circonstances semblables, face à un nouveau génocide?
– Ceci découle à la fois de notre miséricorde et de notre oubli. Après la réconciliation, les Arméniens se sont repliés dans leurs coquilles, et ont attendu une nouvelle occasion. Cette occasion s’est fait jour au cours de la première guerre mondiale. Voulant obtenir l’autonomie en Turquie, les Arméniens recevaient l’aide de la Russie tsariste dans ce sens. Les Arméniens étaient armés au Caucase. Il faut noter que dans l’armée russe servaient 150.000 millitaires arméniens. Tout d’abord, ils s’attaquaient aux villages de l’Anatolie orientale où vivaient des Azerbaïdjanais. Les massacres commis dans ces endroits ont été bien étudiés. Car ces endroits faisaient partie de la Russie et ils étaient hors de la portée des Turcs. Seuls de riches Azerbaïdjanais de la société de Charité des musulmans de Bakou apportaient de l’aide aux réfugiés et aux orphelins de ces régions, ils ont organisé leur accueil à Bakou et à Gandja et ont assuré leur quotidien.
Après leur défaite sur le front de Turquie, les Arméniens ont eu l’intention d’instaurer leur Etat dans le Caucase. Les Arméniens revenus du front ont retourné cette fois leurs armes contre les Azerbaïdjanais. Les groupements paramilitaires armés d’Andronik, d’Hamazasp, de Dro et d’autres ont ravagé plus de 500 villages azerbaïdjanais. Le plus grand génocide contre les Azerbaïdjanais a été commis de mars à mai 1918.
-Pourquoi est-ce la ville d’Irevan qui a été choisie pour l’établissement de la « province arménienne » ?
– Je dois dire que l’établissement d’une “province arménienne” n’était pas dans l’idée des Arméniens. C’était un plan des Russes. Parfois, on entend dire que la Russie voulait créer un Etat arménien. Ce n’était pas dans les intentions de la Russie. La Russie désirait créer une zone tampon peuplée de chrétiens entre la Turquie et la Russie. Une telle région tampon ne pouvait être que majoritairement habitée d’Arméniens. En d’autres termes, les Russes utilisaient les Arméniens comme un outil. Car ils connaissaient bien le fond du caractère des Arméniens. Ils étaient au courant de la perfidie arrménienne envers les Etats dont ils dépendent.
– Il y a différentes reflexions sur l’histoire de la fondation d’Irevan. Certains suggèrent qu’elle a été établie au VIIe siècle, tandis que d’autres la voient apparaître à l’époque des Safavides. En tant qu’auteur de nombreuses études sur ce sujet, vos opinions seraient intéressantes pour nous.
Le concile convoqué au VIIe siècle à Dvin et la participation de deux Arméniens d’Irevan à cette réunion sont complètement faux. Ce fut inventé pour prouver qu’Irevan était une ancienne ville arménienne. L’histoire arménienne est complètement fausse. Quant à Erebouni, je dois dire que c’était une enceinte militaire fortifiée à l’époque d’Ourartou. Des entrepôts y ont été construits pour assurer l’équipement et les munitions de l’armée mais il n’y avait pas de résidence. Cela a été pensé juste pour pouvoir dire que l’Ourartou était un Etat arménien. Mais, selon les fouilles archéologiques, ni Erebouni, ni Ourartou, n’ont à voir avec les Arméniens. Irevan a été une place forte, une forteresse autour de laquelle une ville s‘est constituée. C’est exactement ce qui s’était passé au cours de la période safavide. Jusqu’à ce moment, Irevan était un petit village où habitaient les Azerbaïdjanais. Les Arméniens sont venus dans ces endroits comme missionnaires chrétiens et avec la permission de l’autorité locale ils ont fait construire des caravansérails et des églises sur les terres qu’ils avaient achetées le long du chemin pour se reposer et satisfaire à leurs obligations religieuses.
– Quelles recommandations feriez-vous au site “1905.az”?
– Je connais bien le site “1905.az”. Vous êtes motivés et vous faites du bon travail. Au début il y avait un manque de travail systématique, mais maintenant vous y êtes parvenus. Continuez comme ça. Et travaillez attentivement dans les sources.
Gunduz Nesibov
1905.az