Docteur en Histoire, le professeur Solmaz Rustamova-Tohidi est la directrice du Comité scientifique de l’Institut des Etudes Orientales « Ziya Bunyadov » de l’Académie des Sciences d‘Azerbaïdjan. Elle a écrit plusieurs ouvrages sur le génocide de 1918, parmi lesquels « Bakou, mars 1918 : les génocides d’Azerbaïdjanais en documents », « Guba, mars -avril 1918 : les massacres de Musulmans en documents », et un album de photos « 1918 : les massacres d’Azerbaïdjanais d’après les photos et les documents ».
– Quelles sont les principales raisons qui ont conduit au génocide de 1918 ?
En dépit de l’agressivité des forces armées arméniennes et de “l’assistance active” des troupes russes sur le front du Caucase et contre les populations civiles, tant en Turquie que dans le Caucase du sud, pendant la première guerre mondiale, le pacte russo- arménien n’a rien engendré d’autre que des pertes énormes et des tragédies sanglantes en Russie, en Turquie et dans le Caucase du sud. Après l’effondrement de l’empire russe en 1917, de nouveaux conflits et guerres de forte amplitude éclatèrent dans le Caucase du sud, imprimant leur marque à une nouvelle ère qui se caractérise par de véritablement grands soulèvements historiques. Quoique les Arméniens échouèrent à obtenir de la Russie la reconnaissance de l’autonomie arménienne pendant la guerre, ils parvinrent néanmoins à retenir l’attention des politiciens occidentaux. Cette sorte de succès jouera plus tard un rôle important dans la création d’un Etat arménien dans le Caucase du sud, mais ils furent privés d’en faire de même sur le territoire de la Turquie. Au Caucase, cela se fit aux dépens des territoires des pays voisins. Cependant, la guerre faisait toujours rage et les nationalistes arméniens comprirent qu’il serait très difficile de réaliser leurs plans mais ne cessèrent pas pour autant de caresser leur rêve de « Grande Arménie ».
Cette prise de conscience les incita à concentrer leurs actions sur le Caucase du sud, une région qui présentait des conditions plus favorables à la réalisation de leurs objectifs. Dès mars 1918, les Arméniens avaient pratiqué une épuration ethnique par extermination ou déportation des populations azerbaïdjanaises dans les secteurs de Kars, d’Erivan, du Zanguezour, de Gueuytche, d’Elisabetpol, et du Karabagh afin de préparer la naissance de leur nouvel Etat. Dans le sillage de la retraite confuse et chaotique des troupes géorgiennes et arméniennes de l’armée tsariste qui suivit la révolution bolchevique en Russie en 1917, des centaines de milliers d’Arméniens, qu’ils soient des locaux ou résidents temporaires en Turquie, prirent le chemin du Caucase. Ce vaste flux de populations arméniennes désespérées, sous l’emprise des milices du parti « Daschnaksoutioun » et soutenues par les déserteurs arméniens de l’armée russe se lancèrent à l’assaut des populations civiles turcophones désarmées et les contraignirent à quitter leurs terres. Par exemple, 199 villages dans la seule région d’Erivan auront été ravagés et vidés de leurs populations par la violence dès mars 1918. La présence de réfugiés arméniens, qui rendaient les Turcs et les Azerbaïdjanais seuls responsables de leurs malheurs servit d’appui aux plans d’épuration ethnique des nationalistes arméniens. Ainsi peut-on affirmer avec assurance qu’un embryon d’Etat arménien a été formé à cette époque. En désarmant une cinquantaine de militaires azerbaïdjanais, les Bolcheviques et les Daschnak s’exposaient à une riposte. Poursuivant dans ce sens, une force composée de 6.000 soldats de l’Armée rouge du Soviet de Bakou, dont 70 pour cent étaient des Arméniens, et de 3.000 partisans arméniens « Daschnak » commença à exterminer de paisibles civils azerbaïdjanais à Bakou. 12.000 Musulmans turcophones furent massacrés en une semaine. C’est au cours de ces journées que la ville de Chamakhy et les villages alentours furent incendiés. Les massacres de populations se poursuivirent ensuite à Gouba, à Lenkoran et à Kurdemir.
-Que peut-on dire du nombre exact des victimes?
A mon avis, la meilleure source d’évaluation est donnée par les Protocoles de la Commission d’Enquête Extraordinaire. D’après cette Commission, 11.000 personnes ont été tuées à Bakou. Ce chiffre est celui que je retiens aussi dans mes travaux sur les massacres de 1918. J’ai aussi tenté d’évaluer les pertes matérielles. Quelques études historiques contiennent des informations inexactes. Par exemple, 167 villages ont été détruits dans la région de Gouba, alors que certains chercheurs ne parlent que de 122 villages. On parle faussement de 7.000 victimes à Chemakhy, alors que 8.000 à 10.000 personnes ont été massacrées dans la ville de Chemakhy et 10.341 dans 110 villages environnants. On peut donc affirmer que 18.000 à 20.000 ont perdu la vie dans le secteur de Chemakhy, et 50.000 pour l’Azerbaïdjan dans son ensemble. De plus j’ai découvert récemment en France des documents sur les provinces de Gueuytche et de Djavad. Ils seront bientôt prêts pour une publication. Les documents concernant les régions de Zanguezour et du Karabagh n’ont pas encore fait l’objet de recherches pour l’instant. La Commission n’a pas été en mesure de travailler dans ces provinces comme elle le fit à Chemakhy. Des dizaines de milliers de personnes périrent du fait d’une épidémie.
-Comment ces documents se trouvent-ils dans les archives françaises?
Ces documents et ces photos avaient été remis aux membres de la délégation de l’Azerbaïdjan conduite par Alimardan Topchibachev а la Conférence de la Paix de Paris en 1919. Certains disent que les membres de la délégation emportèrent les documents avec eux. Mais A. Topchibachev est parti à Paris à la fin de 1918. La Commission ne pouvait pas prendre les documents et les photos puisqu’elle n’avait pas encore achevé son travail à cette époque. Malgré une existence difficile, A. Topchibachev n’a pas perdu le moindre document, et tous ses dossiers furent confiés à l’archivage d’une institution scientifique française au lendemain de son décès.
-A l’époque, la République Démocratique d’Azerbaïdjan a-t-elle pris acte des document de la Commission d’Enquête Extraordinaire ?
Avant tout, je dois vous dire que les matériaux de la Commission sont d’une importance toute particulière aujourd’hui. Ils ont été recueillis et sauvegardés par les autorités. Ces documents sont importants du point de vue juridique mais aussi sous l’angle historique et politique. La décision de fonder cette Commission d’enquête extraordinaire date du 15 juillet 1918. Les sept membres de la Commission étaient dirigés par le juriste Alekber bey Khasmammadov. Elle se mit au travail immédiatement et prépara ces documents. Par contre le gouvernement n’a pas eu le temps d’adopter une quelconque décision politique.
Quoique le gouvernement pût donner une qualification juridique à ces événements, il ne put y apporter une réponse politique en raison de l’occupation soviétique. Quelques chercheurs écrivent de façon erronée que les travaux de la Commission furent suspendus du fait de l’occupation. Mais la Commission avait déjà achevé ses travaux au 1er novembre 1919. Elle avait recueilli une grande quantité de matériaux établissant la réalité des massacres de masse de populations musulmanes et des pertes matérielles gigantesques causées par les nationalistes arméniens. Au terme d’un an et demi d’enquêtes, la Commission avait achevé ses travaux et ses membres retournèrent à leurs activités respectives.
Les documents de la Commission furent transmis aux instances judiciaires. Autrement dit, l’objet initial de cette Commission était de traduire les criminels qui avaient participé à ces massacres devant les tribunaux. Après que le Conseil Suprême des Alliés eut reconnu de facto l’Azerbaïdjan au début de 1920, le Parlement d’Azerbaïdjan adopta une loi d’amnistie en février du fait de pressions qui s’exerçaient contre lui. Selon cette loi, toute personne qui a commis des crimes pour des motifs ethniques sera exemptée de sanctions pénales. Pourtant, toutes les enquêtes de la Commission Extraordinaire avaient reçu leur conclusion. Tous ceux qui pesèrent en ce sens furent récompensés. J’insiste néanmoins sur le fait que les documents de la Commission d’enquêtes extraordinaire sont uniques et de très grande valeur.
-Vous avez beaucoup travaillé dans les archives. Y-a-t-il des preuves du génocide de 1905 ?
Bien sûr, il y a même trop de matériaux et ils attendent simplement les chercheurs.
-Mme Rustamova, nous serions heureux d’entendre vos souhaits et vos conseils concernant notre site 1905.az?
Plus il y aura de sites et d’informations circulant au sujet des événements de 1905 et mieux cela sera pour notre nation. Les événements de 1905 sont moins étudiés. De là, je soutiens votre site et vous souhaite tous les succès.
Gunduz Nasibov
1905.az